Lors de la première partie (à lire ici) de ce triptyque sur la Reprezentacja et de sa lente agonie, nous avons évoqué factuellement la chronologie mortifère de ces six dernières années. Maintenant, rentrons ensemble dans le coeur du sujet, rentrons ensemble dans ce royaume infernal en tentant d'expliquer et de comprendre pourquoi et comment est arrivée cette chute brutale.

Un groupe instable et un manque de leaders
Depuis la nomination de Sousa en 2021, quatre entraineurs se sont succédés: Paulo Sousa donc, puis Michniewicz, Santos et finalement Probierz. Ces quatre sélectionneurs ont convoqué un total de 71 joueurs! Le chiffre donne le tournis, d’autant plus qu’en comparaison, sur la même période, l’Albanie, leader de la poule de qualification à l’Euro 2024, en a convoqué ... 43 seulement! Et la France, malgré son puit dorée sans fond... 57!
La Pologne aurait donc un tel réservoir de joueurs à disposition qu’il est extrêmement difficile pour les sélectionneurs de choisir? La vérité est, selon moi, tristement tout autre. Tentons ensemble d'expliquer ce marasme à travers quelques points précis choisis par nos soins.
Une génération dorée vieillissante
Durant les trois dernières années, la Pologne a dû dire adieu, ou dira bientôt adieu, à Kamil Glik, Artur Jȩdrzejczyk, Grzegorz Krychowiak, Mateusz Klich, Łukasz Fabianski, Jakub Błaszczykowski, Maciej Rybus ou encore Kamil Grosicki (sans compter Łukasz Piszczek déjà retraité depuis 2020). On retrouve ici la grande majorité des titulaires de l’Euro 2016 : sept sur les onze du quart de finale face au Portugal.
Cette génération n’a pas passé la main graduellement, exerçant toujours son emprise notamment psychologique sur le reste du groupe. On rappellera l’épisode de la vraie-fausse-vraie retraite de Krychowiak, les appels de certains médias à la sélection d’un Glik dernier de Serie B (puis joueur de Serie C), le retour aux affaires d’un Grosicki plus appelé depuis des mois... Chaque sélection de ces joueurs retarde également l’avènement de leurs remplaçants. Mais il serait malhonnête de les considérer comme seuls responsables.
Un manque de relais des "nouveaux" leaders
Car si les nouveaux ont du mal à s’affirmer, que dire de ceux en qui l’ont plaçait nos espoirs du renouveau de la Reprezentacja? Je les classerai en deux catégories distinctes : ceux sur qui le sort s’acharne et ceux qui n’ont même pas cette excuse.
On plaçait beaucoup d’espoirs sur Krzystian Bielik, Arkadiusz Milik ou Jakub Moder. Néanmoins,ces trois joueurs ont en commun de graves blessures aux genoux, répétées pour certains, et on ne peut pas les tenir totalement responsables de cette malchance.

Fot: Newspix / Rafal Oleksiewicz
En revanche, où sont les Bednarek, Zielinski ou Piątek? Le premier semble ressentir un malaise profond quant à son rôle, et ne sera probablement jamais qu’un suiveur dans la défense. Le second est merveilleux au Napoli, mais en sélection il ne trouve que rarement sa place sur le terrain et se fait d’une discrétion très décevante vis-à-vis des espoirs placés en lui. Enfin, le dernier semble malheureusement surfer sur sa demi-saison au Genoa, enchainant les clubs et ne se souciant guère du niveau de ses prestations.
Cela fait donc six joueurs, qui, pour des raisons diverses, étaient amenés à remplacer la génération dorée de 2016, et qui ont tous failli. Il conviendra de noter, avec une certaine surprise, les réussites dans ce domaine de joueurs comme Przemisław Frankowski ou Karol Świderski, qui donnent satisfaction alors qu’il n’étaient sans doute pas prédestinés à remplir ce rôle.
Mais l’explication ne s’arrête pas là concernant le nombre astronomique de sélectionnés lors des trois dernières saisons, et le mal est bien plus profond.
Des joueurs moyens, des choix de carrière désastreux
Comment passe-t-on d’être un joueur moyen à devenir un bon joueur? En progressant. Merci Captain Obvious me direz-vous. Et comment progresse-t-on? En faisant les bons choix de carrière, en ayant pour motivation de progresser et de jouer.
Et à ce petit jeu, les jeunes polonais sont extrêmement mauvais. Pour un Jakub Moder, un Sebastian Szymański, un Marcin Bułka, combien de joueurs ne faisant pas les efforts, ayant visé trop haut trop vite, avec de gros salaires les rendant difficile à sortir de leurs clubs et à retrouver du temps de jeu ailleurs? La liste est longue et elle fait mal au crâne.

Fot: Getty Images
Je pourrai citer pêle-mêle: Puchacz, Walukiewicz, Żurkowski, Józwiak, Kaminski, Płacheta, Skóras, Praszelik, Karbownik, Majecki... A ceux là, il tiendra également d’ajouter les joueurs partis très (trop) jeunes et qui, même sur le bon chemin, tardent encore à confirmer, comme Wiśniewski, Piątkowski, Kiwior ou Kozłowski.
Finalement, on trouve également parmi les Polonais des joueurs «de club», mais qui ne seront jamais des leaders dans cette selection, comme Damian Szymański, Linetty, Buksa, Kędziora, Wszołek, Salamon, Reca ou encore Dawidowicz, joueurs qui constituent aujourd’hui une bonne partie de l’équipe nationale, dû à la défaillance de ceux cités auparavant. Mais l’analyse ne s’arrête pas - encore - là concernant l’instabilité du groupe, et nous allons remonter peu à peu le fil de la mascarade qu’est devenue la fédération Polonaise de Football. Passons, si vous me le permettez, aux cas épineux des sélectionneurs.
Quatre sélectionneurs, aucune vision, peu d'idées
Car si les joueurs sont évidemment responsables, il en est de même des sélectionneurs qui les appellent. Nous avons déjà parlé des 71 joueurs sélectionnés et le fait d’avoir eu quatre sélectionneurs en trois ans n'est pas étranger à cela. Pourquoi? Car chacun d’entre eux a voulu mettre SA propre idée en place, sans projet à court/moyen terme, sans idée directrice. Du 3-5-2 complètement déséquilibré de Sousa nous sommes passés au 4-1-4-1 illogique de Michniewicz (beau sur le papier, inanimé dans la réalité), au 4-5-1 double pivot de Santos, avant de repartir sur un 4-4-2 pour Probierz et de finalement changer pour un 3-5-2 sans créateur au dernier match. Et à chaque système, à chaque idée, des nouveaux appelés qui ne resteront que le temps d’un ou deux petits rassemblements.
“Nul effet provenant de la raison ne peut durer toujours, parce que les désirs des Hommes changent les influences du ciel” - Dante Alighieri
Qui se souvient ou se souviendra des appels de Peda, Piotrowski, Struski, Marcin Kaminski, Helik, Lederman, Pestka, Augustyniak, Pietrzak ou Świerczok?
Mais alors qui nomme ces sélectionneurs sans lignes directrices? Qui est responsable du projet à long terme de cette équipe, qui doit avoir LA vision pour la sélection, si les entraineurs ne l’ont pas, et mettre en œuvre la politique sportive du pays? Le président de la Fédération, normalement.
Cezary Kulesza, un président dépassé
Pour ceux qui ne le connaissent pas, Cezary Kulesza est un ancien joueur de football professionnel, très attaché au club de Jagiellonia Białystok, dont il a également été le directeur exécutif de 2010 à 2021.
Kulesza a hérité du choix de Boniek concernant Paulo Sousa, mais depuis il nomme ses entraineurs, sans idée directrice, au gré du vent et des articles de presse. Il est également assez troublant de remarquer que peu importe les sélectionneurs, certaines agences de joueurs se retrouvent avec six à huits de leurs joueurs dans la liste des sélectionnés, et certains anciens joueurs de Jagiellonia se retrouvent anormalement appelés, le dernier en date étant Struski.

Fot: 400mm.pl
Les décisions fortes de Kulesza sur ces trois dernières années pour la sélection? Il faut creuser profond pour les trouver, à vrai dire on les cherche toujours. Les jeunes ne semblent pas faire l’objet d’une attention particulière, on se félicite plus souvent d’avoir réussi à attraper un bi-national dans les mailles du filet plutôt que d’avoir une politique de formation cohérente.
Reste encore un problème, qui dirige cette sélection? Les entraineurs changent, le président n’inculque aucune politique, alors qui reste t-il aux commandes? Eh bien, la réponse est simple: tant qu’il sera là, les clés du camion seront données au meilleur joueur Polonais de tous les temps, sans aucune remise en question d’un quelconque système que ce soit.
Lewandownski, la star encombrante
Où que l’on se balade en Pologne, Lewandowski est partout. Lewy au téléphone, Lewy au restaurant, Lewy au magasin, Lewy à la plage, Lewy en voyage, etc... etc... c’est à se demander où Lewy trouve le temps pour tous ces contrats pubs, en plus de ses entrainements et de ses matchs.
Cela ne posait aucun problème à qui que ce soit lorsqu’il était au Bayern et que la Reprezentacja tournait encore relativement correctement, l’ancien prodige de Poznań aurait également dû remporter le Ballon d’Or en 2019, trophée qui aurait permis à tous les Polonais d’exprimer une certaine fierté. Mais depuis son arrivée au FC Barcelona, la sensation est que le businessman a de plus en plus pris le pas sur le footballeur, et sa participation dans le scandale des primes de la Coupe du Monde 2022 ont écorné, encore un peu plus, l’image du joueur, de l'icône.

Pour se racheter, Lewy doit faire plus, Lewy doit faire mieux, mais à 35 ans, peut-il faire mieux? A son âge, ses activités extra-sportives, ainsi que son jeu sont-ils en adéquation avec les attentes placées en lui? L’exceptionnel buteur doit se muer en meneur / tour de contrôle / leader / capitaine avec les Biało-Czerwoni. Doit on le lui demander? Sans doute. Peut-il nous satisfaire? Probablement pas. Est-il seulement capable de le reconnaître? Le champion ne reconnaîtra jamais le crépuscule de sa carrière, et cela sert également les intérêts de la fédération, qui peuvent continuer à le mettre en avant sur absolument tous les produits dérivés et lui mettre sur le dos l’entièreté de la pression exercée par les médias et les supporters avides de bouc émissaire au pays.
“Bien sûr, en tant que capitaine, c'est un fardeau plus lourd. Les attentes sont immenses. Jouer pour la sélection est une responsabilité” - Robert Lewandowski
Les articles fleurissent pour expliquer à quel point Lewy n’est pas fait pour le rôle de leader, qu’il exerce une emprise sur le reste du groupe, faisant rappeler ses anciens coéquipiers des temps glorieux. Mais cela fait six ans que la sélection va mal. Les entraineurs se sont succédés, les présidents se sont ridiculisés, les joueurs se sont cachés. Lewandowski tient une part de responsabilité certes, mais il serait bon de ne pas la surestimer.
Mais alors, la sélection est-elle vouée à retrouver un statut de «petite nation» du football européen? Pas forcément et ça sera le sujet du dernier article et conclusion de ce triptyque Reprezentacja que vous retrouverez demain!
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